Sans trop d’illusions, mais avec l’espoir que tout allait s’améliorer peu à peu, nous avions cru qu’après avoir surmonté l’épidémie de Covid, nous entrerions dans une période de calme et de réparation. Et puis… Et puis… De nouvelles élections, suivies par une menace de lois plus infâmes les unes que les autres, nous ont poussés dans la rue.
Moi, qui n’apprécie pas les grands rassemblements, me suis retrouvée à scander des slogans une à deux fois par semaine dans des groupes de tailles variées. Des plus petits — une quinzaine de piétons agitant des drapeaux sur une passerelle au-dessus de l’autoroute, salués par des klaxons de voitures et de semi-remorques —, jusqu’aux plus considérables — deux cent mille personnes au centre de Jérusalem ou de Tel-Aviv.
Le texte s’est donc écrit sans heurt, avec mon expérience sur le terrain comme inspiration, lorsque Thibault nous a proposés un Intermède cacophonique.
Merci à Yael Lichtenstein pour cette magnifique photo.
Et voici, sans plus tarder, une courte nouvelle, sorte d’instantané de manifestation.
Dans la rue
Que dirons-nous à nos enfants ? Démocratie, démocratie… !
Tout autour de moi, des milliers de drapeaux blanc et bleu. Des centaines de milliers, m’a dit papa. Je crie et m’efforce de tenir mon drapeau bien droit, même si j’en ai mal aux épaules. Devant moi, mon frère a collé contre sa poitrine une pancarte : obligation de résistance. Papa lui a expliqué que c’était le bouclier d’un vaillant guerrier. Il voulait le drapeau, mais je ne le lui ai pas laissé.
Les policiers sont nos frères ! Les policiers sont nos frères !
Les adultes font aussi des bêtises. Ils crient avec un visage sérieux. J’aime bien cette pancarte noire et blanche, mais je préfère le drapeau. La prochaine fois, je l’aurai. Papa me le donnera. Au moins pour le début…
Vous êtes tombés sur la mauvaise génération !
« Sales gauchistes ! Quittez le pays, si vous n’êtes pas contents.
— C’est mon pays autant que le tien. Et je manifesterai si je veux !
— Vous voulez renverser un gouvernement élu ! C’est vous les dictateurs !
— T’as rien compris ! Où sont les lois contre la pauvreté, contre l’insécurité ou pour l’amélioration des infrastructures ? Pourquoi le gouvernement se hâte-t-il de voter cette réforme ? Pour ne plus jamais lâcher le pouvoir.
Rentre à la maison ! Rentre à la maison !
Ça fait trois mois que ça dure. J’en peux plus. Au lieu d’enquêter sur des crimes, je me retrouve à faire la nounou. Trois cent mille manifestants. S’ils s’affolent d’un coup… »
La démocratie ou la révolte ! La démocratie ou la révolte…
Je vais me retourner et lui dire ce que je pense de son sifflet. C’est insupportable ! Quel boucan ! Certaines personnes y prennent vraiment du plaisir.
« S’il vous plaît ! Pouvez-vous cesser ce bruit atroce ? Je ne parviens pas à les comprendre. »
Démocratie, démocratie !…
« Ethan ! Que fais-tu là ? Je croyais que tu habitais dans le nord.
— Cette fois, nous sommes venus à la grande ville pour voir plus d’action. Impressionnant, n’est-ce pas ? Tu connais ma femme ? »
La honte ! La honte !
Ces enfants adorables qui se tiennent avec un tel sérieux… Je n’aurais pas osé amener les miens à une manifestation. Du moins, pas lorsque nous vivions en Russie. Il est vrai qu’à cette époque, elles étaient interdites.
Aussi longtemps qu’en nos cœurs…
J’aurais dû mourir avant de voir ça. Toutes ces souffrances… Toutes les guerres auxquelles j’ai participé… pour en arriver là. Pour qu’un inculpé menteur pathologique nous rafle le pays avec sa bande de mafionaires et d’hallucinés religieux… Tout de même… Même Eddy, qui pousse mon fauteuil roulant, s’en émerveille. Tous ces gens, qui d’habitude se contentent de leur routine, sont sortis dans les rues. Tous ensemble, ils protestent pour sauvegarder leur avenir. Mes filles, leurs maris et leurs enfants ont tenu à m’accompagner. Et l’hymne national… qui m’émeut chaque fois.
Être un peuple libre sur notre terre…
Comentários