Marc se chargeait lui-même du choix des victimes. Il les préférait insouciantes et gaies — des femmes ou des hommes fragiles qui jacassaient dans leur téléphone sans se préoccuper du monde extérieur. Ludo et Assa, sans grâce, mais avec une efficacité acquise par la pratique assidue de la boxe thaïlandaise, s’occupaient de l’interception. Arrivait ensuite l’étape tant attendue : l’acte médical.
De nombreux écueils avaient jalonné son apprentissage et Marc pouvait maintenant avouer qu’il avait plusieurs fois éprouvé l’envie d’abandonner cette entreprise. Mais la persévérance avait payé. Il avait compris assez vite que l’extraction s’avérait plus rapide que le décollage. Et puis, les nouvelles technologies l’avaient aidé. La dernière génération de téléphones dentaires, encore plus miniaturisés que les précédents, se posait désormais sur les prémolaires, plus faciles à arracher que les molaires massives et récalcitrantes. Avec l’épuisement des mines de métaux rares et les retombées de la dernière guerre mondiale, ces gadgets si prisés étaient devenus hors de prix. Alors, pourquoi ne pas en profiter ?
Souvent, lorsque, l’élévateur radiculaire à la main, il s’apprêtait à inciser la gencive rose avant de glisser le long de la racine enfouie, il se disait qu’il méritait mieux. Avec une situation familiale favorable, il n’aurait pas quitté l’école si tôt et aurait obtenu son bac. Et ensuite… qui sait ? Il aurait pu devenir chirurgien. Au vu de son habileté et de son sang-froid, il trouvait cette idée plausible.
La prémolaire extirpée, il la passait aux autres et prenait le volant. Il leur avait montré comment désactiver la géolocalisation et leur avait enseigné l’art de décoller les implants sans les endommager. Les deux brutes s’en tiraient plutôt bien. La plus grande difficulté, en fait, résidait dans le largage du corps toujours inconscient. Il fallait éviter que d’éventuels témoins ne reconnaissent la camionnette, ce qui l’obligeait à parcourir de nombreux kilomètres pour trouver l’endroit idéal.
Vous venez de lire une micro fiction improvisée dans le cadre du club Contreforme et sans doute inspirée de mon premier métier, la chirurgie dentaire. Si vous voulez savoir ce qui fonctionne ou pas dans la narration du dernier film de David Cronenberg «Les crimes du futur», je vous invite à lire ce post.
Et pour parcourir les nouvelles déjà publiées, rendez vous ici.
À bientôt,
L.M. Rapp
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